dimanche 30 septembre 2012

Différenciation pédagogique : l'apport du jeu vidéo à l'Ecole


Chaque enfant qui entre à l’Ecole est différent de par son histoire personnelle, de par ses passions, ses loisirs, de par ses points forts, ses points faibles, de par ses capacités cognitives. L’enjeu de l’Ecole est ainsi de gérer cette hétérogénéité, de permettre à chacun, aussi différent soit-il, de réussir. Cependant, force est de constater que, malgré les nombreux efforts mis en place chaque année par les enseignants dans leur(s) classe(s), les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes.

Un outil permettant la prise en compte de toutes ces différences inhérentes à chacun se nomme la différenciation pédagogique. Selon Philippe Perrenoud[1], « différencier, c'est rompre avec la pédagogie frontale, la même leçon, les mêmes exercices pour tous ; c'est surtout mettre en place une organisation du travail et des dispositifs qui placent régulièrement chacun, chacune dans une situation optimale. Cette organisation consiste à utiliser toutes les ressources disponibles, à jouer sur tous les paramètres, pour organiser les activités de telle sorte que chaque élève soit constamment ou du moins très souvent confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui. » Cela se traduit souvent dans la classe par une adaptation du travail demandé en fonction des rythmes de chaque élève. Par exemple, un enfant qui s’avère être plus lent à écrire que le reste de la classe (pour des raisons qui peuvent d’ailleurs être médicales) pourra se voir dispensé d’écrire les consignes des exercices afin de conserver son « énergie cognitive » pour la résolution de la tâche principale demandée (celle qui fait l’objet de la compétence en cours d’apprentissage). On pourra également jouer sur le rythme d’acquisition des compétences. Ainsi, un élève ayant des difficultés à mémoriser ses tables de multiplication pourra garder près de lui un tableau récapitulant lesdites tables lorsqu’il effectuera une multiplication posée. Cela lui permettra de mobiliser ses efforts sur la seule technique opératoire sans risquer d’être parasité (conflit cognitif) par un élément externe (le fait, dans le cas évoqué, qu’il ne sache pas encore ses tables). Il pourra donc acquérir la procédure de la technique opératoire puis remédier à son retard de mémorisation des tables de multiplication parallèlement à cela (à un autre moment de la journée). Ces deux exemples montrent bien l’apport de la différenciation pédagogique dans l’enseignement.

Cependant, les différences inhérentes à chacun ne sont pas toujours seulement liées aux rythmes de travail et d’acquisition des savoirs de chaque élève. Certaines différences qui existent entre les individus sont directement corrélées aux stratégies qu’ils mettent en œuvre afin d’appréhender les savoirs. Depuis les travaux d’Howard Gardner[2], nous savons que l’intelligence n’est pas quelque chose de fixe, d’unique mais qui se trouve prendre différentes « formes » selon les personnes. Le psychologue américain a ainsi élaboré une théorie qui recense pas moins de 8 intelligences spécifiques :
-         L'intelligence corporelle / kinesthésique : c'est la capacité à utiliser son corps d'une manière fine et élaborée, à s'exprimer à travers le mouvement, à être habile avec les objets. 
-         L'intelligence interpersonnelle : c'est la capacité d'entrer en relation avec les autres.
-         L'intelligence intrapersonnelle : c'est la capacité à avoir une bonne connaissance de soi-même.
-         L'intelligence logique-mathématique : c'est la capacité à raisonner, à compter et à calculer, à tenir un raisonnement logique. C'est cette forme d'intelligence qui est évaluée dans les tests dits de « Quotient Intellectuel ».
-         L'intelligence musicale / rythmique : c'est la capacité à percevoir les structures rythmiques, sonores et musicales.
-         L'intelligence naturaliste : c'est la capacité à observer la nature sous toutes ses formes, la capacité à reconnaître et classifier des formes et des structures dans la nature.
-         L'intelligence verbale-linguistique : c'est la capacité à percevoir les structures linguistiques sous toutes leurs formes.
-         L'intelligence visuelle / spatiale : c'est la capacité à créer des images mentales et à percevoir le monde visible avec précision dans ses trois dimensions.
Dans ce sens, chaque intelligence se trouve plus ou moins développée selon les individus ce qui crée au final une intelligence globale très différente d’un individu à un autre. On perçoit ici qu’il va donc devenir plus difficile de prendre en compte ces diverses formes d’intelligences s’exprimant chez les apprenants que de prendre en compte les seuls rythmes d’acquisition.

C’est pour cette raison que l’attention des chercheurs et de certains enseignants se tourne de plus en plus vers un autre outil qui pourrait être une clé (parmi d’autres, bien sûr) à ce problème de prise en compte des différences d’intelligence inhérentes à chacun. Il s’agit du jeu électronique (jeu vidéo ou jeu sérieux[3]). Tout d’abord, il est important de signaler que, contrairement aux idées reçues, le jeu vidéo n’est pas cet objet pathogène et bêtifiant que certains psychologues et journalistes veulent en permanence nous vendre[4]. De plus, selon des études de plus en plus nombreuses, il semblerait que les jeux vidéo possèdent un véritable potentiel motivationnel, cognitif et éducatif[5]. Enfin, faisant partie de la culture des jeunes d’aujourd’hui, intégrer l’objet vidéoludique dans les apprentissages serait une manière de contribuer à refermer en partie la fracture qui existe entre l’École et son public[6].

La question que l’on se pose devient alors : en quoi le jeu vidéo peut-il être un outil d’enseignement pertinent ? Tout simplement par le fait qu’il va permettre de faire passer les apprentissages par de nouveaux canaux favorisant, faisant écho à des formes d’intelligences qui n’étaient pas ou peu sollicitées auparavant. Avec le développement des jeux sérieux et des travaux[7] sur le détournement des jeux vidéo afin d’en faire un objet d’apprentissage, il existe de plus en plus de jeux qui permettent aux élèves d’aborder un nouveau savoir par différents chemins. Il est désormais possible d’utiliser des jeux qui permettent de visualiser des notions plus abstraites ce qui rend les détenteurs d’une intelligence visuo-spatiale plus réceptif. De même, la mise en musique de certains apprentissages permet aux apprenants dont l’intelligence est musico-rythmique d’être mieux réceptifs aux notions abordées. Il existe de nombreux exemples de ce genre et le perfectionnement des consoles de jeu va accroître l’efficacité de cet outil d’apprentissage. L’un des développements les plus intéressants est celui de la réalité virtuelle[8] qui permet de manipuler (intelligence kinesthésique) certains concepts en temps réel. Bien sûr, il n’est pas question ici de faire de la classe un lieu purement ludique et de remplacer tous les outils déjà existant par l’objet vidéoludique. Cependant, on pourrait concevoir des classes organisées sous forme d’ateliers (cela se fait déjà en maternelle ou par les enseignants utilisant la Pédagogie de Maîtrise à Effet Vicariant[9]) dans lesquelles pour une même notion chaque enfant pourrait apprendre avec un support différent : le manuel, jeux vidéo, etc.

Une fois encore, cela suppose de redéfinir le rôle de l’enseignant et de remettre en questions sa formation. De nombreux pays commencent à se tourner vers la gamification de l’enseignement et de nombreux rapports viennent corroborer l’efficacité de l’utilisation du jeu vidéo à l’École[10]. Espérons que notre pays saura prendre le train à la bonne heure pour ne pas être, une fois de plus, à la traine …



[1] Perrenoud Philippe, Pédagogie différenciée, Des intentions à l’action, Paris, ESF, 1997.
[2] Gardner Howard, Les formes de l'intelligence, Paris, Éditions Odile Jacob, 1997.
[3] Ou serious game : “application informatique, dont l’objectif est de combiner à la fois des aspects sérieux (Serious) tels, de  manière  non  exhaustive,  l’enseignement,  l’apprentissage,  la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (Game)” (c.f. ALVAREZ Julian, Du jeu vidéo au serious game, Approches culturelle, pragmatique et formelle, Thèse, Toulouse, 2007, p. 9.)
[4] Enseigner avec le jeu vidéo : aspects psychologiques : http://jtresse-psy.blogspot.fr/p/enseigner-avec-le-jeu-video-aspects_15.html
[5] Enseigner avec le jeu vidéo : aspects pédagogiques : http://jtresse-psy.blogspot.fr/p/enseigner-avec-le-jeu-video-aspects_15.html
[7] Enseigner avec les jeux vidéo (dossiers) : http://jtresse-psy.blogspot.fr/p/enseigner-avec-le-jeu-video.html
[8] Réalité augmentée et interactivité : vecteurs de révolution pédagogique ? : http://www.educavox.fr/actualite/debats/article/realite-augmentee-et-interactivite

samedi 29 septembre 2012

Face à la violence scolaire, l'éducation ?


Dans son article publié sur le Huffington Post et intitulé « Face à la violence scolaire, la pédagogie ? »[1], Béatrice Mabilon-Bonfils (sociologue à l’Université de Cergy-Pontoise) se propose, en réaction aux nombreux cas d’agressions recensés en ce début d’année scolaire, de répondre aux questions suivantes : « peut-on penser les violences scolaires sans questionner à la fois les inégalités scolaires (sociales, sexuelles, ethniques, culturelles) ? Peut-on penser les violences scolaires sans questionner les modalités de transmission des savoirs et de relations à l'autre que notre école valorise par son fonctionnement même ? »

Au sein de l’analyse que cette professeure d’Université apporte, l’accent est mis sur le paradoxe au cœur duquel l’Ecole est embourbée, de par le pilotage administratif même auquel elle est soumise. En effet, alors que les programmes scolaires visent à faire acquérir aux élèves « la solidarité, l'entraide, l'égalité, la coopération, l'intérêt général, l'acceptation de l'Autre », le pilotage libéral et « évaluationniste » de l’Ecole pousse les enseignants à utiliser la compétition individuelle, à encourager la réussite individuelle, à pratiquer l'évaluation à outrance, à hiérarchiser les élèves, les séries, les établissements, à accepter la ségrégation, parfois l'humiliation, le rejet de l'altérité. Il est ainsi évident qu’un milieu dans lequel on incite à la violence morale et psychologique contre l’Autre ne peut que favoriser, à terme, l’explosion de violence physique à laquelle on assiste en ce moment. Cela concerne d’ailleurs autant l’enseignant que ses élèves. On retrouve ce constat dans l’article du Nouvel Observateur intitulé « L'école française, une "fabrique de défiance" ? [2]» (Patrick Fauconnier). Il est notamment dit que « l’école française est une machine à trier, classer et diviser, ce qui en fait un milieu anxiogène où l’élève a sans cesse peur de ne pas être à la hauteur par rapport aux autres. Au sein des 40 pays de l’OCDE, c’est en France que les élèves se sentent le moins « chez eux » à l’école. » Comment pourrait-il en être autrement alors que les enseignants eux-mêmes, de peur de ne pas être à la hauteur des attentes de leurs supérieurs hiérarchiques, se sentent mal-à-l’aise dans leur milieu professionnel, pris dans le paradoxe d’une envie d’innover, de pratiquer des pédagogies incitant au travail de groupe, de coopération, de prise en compte des individualités, d’une part, se heurtant à la réalité administrative, d’autre part : respecter le carcan imposé par les inspections, ne pas sortir du cadre des programmes scolaires, etc. Il est donc vrai que cette pression qui pèse sur les enseignants se répercute inéluctablement sur leurs élèves, conduisant les plus fragiles, scolairement parlant, à être mis en marge du système. De là, les dérives que l’on connaît, et qui font tristement la une des journaux ces derniers temps, deviennent possible. Aurait-on envie de faire violemment part de sa colère dans un système au sein duquel on se sent bien, au sein duquel on est un acteur utile, à défaut d’être en réussite ?

Cependant, le seul fait de se concentrer sur la violence scolaire et la pédagogie ne constitue pas en soit une réponse complète et satisfaisante au problème globale de la violence infantile (qu’elle se manifeste en milieu scolaire ou non). La violence manifestée à l’Ecole par les élèves se trouve également être un prolongement d’une violence ordinaire de plus en plus récurrente dans le cadre familial de l’enfant. Cette dernière n’est donc plus du seul ressort de l’Ecole et de la pédagogie mais se trouve être étroitement liée au manque d’éducation dont sont victimes les enfants d’aujourd’hui. Un certain nombre de parents ont en effet démissionné de leur rôle de primo-éducateur, laissant ainsi leur enfant à l’abandon. Dans ce sens, imaginons le choc que va recevoir l’élève qui, jusqu’avant d’arriver dans cette nouvelle structure sociale qu’est l’école maternelle, n’avait pas été habitué à un cadre structurant dans lequel certains repères (les règles de vie sociale et collective qu’il retrouvera à l’Ecole) (pré-)existaient. Cette distanciation qui existe entre les attentes parentales (aucune dans certaines familles) est parfois tellement forte que l’enfant rentre violemment en conflit avec ceux (maîtresses et maîtres puis professeurs) qui veulent lui imposer ce cadre indispensable à la bonne gestion de la micro-société-classe (pour le confort de tous). Ce manque de repères structurants s’accompagne d’ailleurs souvent du fait que l’enfant n’a pas eu la chance de profiter d’un environnement stimulant[3]. Précisons à ce sujet qu’« il ne faut pas confondre environnement stimulant (ou non-stimulant) et milieu [socialement] favorisé (ou défavorisé). L’accès à la culture (musées gratuits, balades en forêts, jeux de société, lectures, etc.) n’est souvent pas une question d’argent mais de temps à consacrer à ses enfants. Certains parents éprouvant des difficultés d’accès à cette culture doivent être aidés afin que leurs enfants entrent dans leur scolarité dans de bonnes conditions. [4]» Ajoutons également qu’il n’est pas non plus question de rejeter ici la faute sur les familles afin de dédouaner l’Ecole d’un problème duquel elle a aussi sa part de responsabilité, tant dans le fait qu’elle contribue à favoriser le terreau sur lequel nait la violence (on l’a vu plus haut) que dans le sens où elle doit tout mettre en œuvre afin de l’enrayer. La question de la violence scolaire est intimement liée à celle de la violence familiale, elle-même conséquence d’une éducation défaillante reçue par les enfants dès leur plus jeune âge.

Si l’on remet tout ce qui vient d’être dit dans une même perspective, il est donc important que, dans notre volonté de « combattre » la violence (et l’échec) scolaire, nous prenions le problème de manière globale : socio-politique d’abord puis scolaire-familial ensuite. Du premier niveau, il est important de se questionner sur la pression que les politiques favorisant l’individualisme et la compétitivité (par l’évaluation des uns contre les autres) font subir à ceux qui les reçoivent (subissent ?) : les enseignants pris dans le souci constant de respecter à la lettre les attentes de leur hiérarchie d’une part et les parents qui, rencontrant de nombreux problèmes dans leur vie sociale (les petites violences du quotidien) et professionnelle (le stress de garder ou trouver un emploi par exemple), démissionnent de leur rôle de premier éducateur. Au second niveau, il faut s’interroger sur la mission de l’Ecole afin de permettre une certaine souplesse (ce qui ne veut pas dire un manque d’exigence quant aux enseignements) dans les attentes que l’on fait peser sur ses acteurs. Il faut également réinterroger la place de l’Ecole dans le contexte de la société afin d’instaurer un lien plus fort entre les différents éducateurs que sont les parents et les enseignants[5].

dimanche 23 septembre 2012

Les « sages » français ou l’ode à la violence



De par ma double casquette professionnelle (enseignant initialement formé à la psychologie), je me suis souvent posé la question de l’origine de la violence. En effet, comment certaines personnes en arrivent à un point de non retour au-delà duquel il ne leur est plus possible de se contenir et passent à des actes de violence (physique ou morale) ? Longtemps, je me suis contenté de la réponse combinant langage et éducation. Dans ce sens, on peut résumer cette position par le fait que certaines personnes n’arrivant pas à mettre de mots sur leurs émotions s’expriment alors par le corps pour se faire entendre, une sorte d’implosion qui s’extériose. Ceci se joue donc au niveau de l’éducation, au temps de l’enfance. La réponse m’est apparue en partie convaincante mais laissait un pan de la question initiale sans solution : on explique ainsi la violence « ordinaire » et localisée (bagarre, petites agressions, etc.) mais on n’explique pas l’origine de la violence « extrême » généralisée, de la cruauté dans ce qu’elle a de plus lointain et viscéral : le meurtre d’un autre Homme généralisé à l’échelle d’un monde.


Toujours dans ma quête de réponse, je me suis donc intéressé aux origines de l’Homme en me disant que j’y trouverais peut-être une réponse à l’origine de la violence humaine. Si l’on en croit les travaux d’odontologie archéologique, il semblerait que nos lointains ancêtres aient d’abord été des mangeurs de fruits et de tubercules. Cela ne semble pas surprenant si l’on regarde de plus près l’alimentation de nos « cousins » primates. Cela veut donc dire qu’originellement les premiers Hommes n’avaient pas encore goûté le premier meurtre, celui du premier animal tué. Il y a donc eu un acte originel à la violence, celui sur lequel Plutarque s’interrogeait déjà en son temps[1] :

Tu me demandes pour quelle raison Pythagore s'abstenait de manger de la chair. Moi, au contraire, je m'étonne : quelles affections, quel courage ou quels motifs firent autrefois agir l'homme qui, le premier, approcha de sa bouche une chair meurtrie, qui osa toucher de ses lèvres la chair d'une bête morte, servit à sa table des corps morts, et pour ainsi dire, des idoles, et fit de la viande et sa nourriture de membres d'animaux qui peu auparavant, bêlaient, mugissaient, marchaient et voyaient ? Comment ses yeux purent-ils souffrir de voir un meurtre ? De voir tuer ? Ecorcher, démembrer une pauvre bête ? Comment son odorat' put-il en supporter l'odeur ? Comment son goût ne fut-il pas dégoûté d'horreur, quand il vint à manier l'ordure des blessures, à recevoir le sang et le suc' sortant des plaies mortelles d'autrui ?

De là, je me suis demandé par quels glissements, l’Homme, après s’être accommodé du meurtre d’un être-vivant, en était arrivé au meurtre de ses semblables. Passant ici sur mes investigations, je dirai juste que je me suis aperçu que de nombreux auteurs en étaient arrivés aux mêmes conclusions que moi. Voici donc, en guise d’exemples, quelques citations qui en diront bien plus et auront plus de poids qu’un long discours de ma part.

Les problèmes posés par les préjugés raciaux reflètent à l’échelle humaine un problème beaucoup plus vaste et dont la solution est encore plus urgente : celui des rapports de l’homme avec les autres espèces vivantes… Le respect que nous souhaitons obtenir de l’homme envers ses semblables n’est qu’un cas particulier du respect qu’il faudrait ressentir pour toutes les formes de vie… (Claude Levi-Strauss)

Si la cruauté s'est tant exercée contre l'homme, c'est trop souvent qu'elle s'était fait la main sur les animaux. On aurait moins accepté les wagons plombés roulants vers les camps de concentration si on n'avait accepté sans même y songer la souffrance des bêtes dans les fourgons menant aux abattoirs. Tout homme qui chasse se prépare à la guerre. (Margueritte Yourcenar)

La possibilité des pogroms est déjà présente quand on regarde dans les yeux un animal qu’on va tuer en se disant que ce n’est qu’un animal. (Elisabeth de Fontenay)

Le temps viendra où les hommes, comme moi, regarderont le meurtre des animaux comme ils regardent maintenant le meurtre de leurs semblables. (Léonard de Vinci)

On constate ainsi que de nombreux penseurs de tout temps et de tout pays en sont également arrivés au lien explicite qui existe entre la violence humaine et la violence faite aux animaux. Cela permet ainsi d’expliquer bien des violences : du meurtre de l’animal à celui de l’Homme, de la cruauté envers l’animal à celle envers les Hommes, de la soumission des animaux à la soumission de certaines « races » humaines, etc. On explique également la violence infantile. Si l’enfant reçoit comme éducation celle du respect de la vie sous toutes ses formes, il s’habituera et saura ainsi, par exemple, qu’il respecte le chat de manière gratuite sans rien attendre en retour. Il s’habituera donc à respecter ses semblables sans rien attendre en retour, juste par respect de l’Autre et de la vie. Par contre, qu’en est-il si on l’autorise, si on l’incite, si on valide devant lui la violence faite à la vie. N’introduit-on pas là les prémices d’une autorisation à la violence généralisée ? N’ouvre-t-on pas la boîte de Pandore de la violence ?

Et n’est-ce pas là ce qu’on fait les hauts conseillers en choisissant de maintenir la corrida, une tradition au sein de laquelle on valide l’acte de tuer ? Ceci étant dit, fallait-il attendre autre chose de personnes dont l’unique préoccupation est leur propre personne, leur propre profit ? Etait-ce à eux, comme à une grande partie de la classe politique, qu’il fallait s’en remettre pour statuer sur une question de morale aussi importante et dont il fallait avoir assez de « sagesse » pour bien en voir la large portée ? Bien sûr que non ! Ne les appelle-t-on pas des « Sages » parce qu’ils sont les garants d’un certain immobilisme, de la conservation d’une vision libérale et anthropocentrée ? Je me pose alors la question de savoir ce qu’il en serait advenu de l’abolition de l’esclavage et de la déclaration des droits de l’Homme si les Rousseau, Voltaire et autres Victor Hugo avaient été des Nicolas Sarkozy, des François Hollande ou des Jean-Louis Debré.

Le souci de ces derniers de ne pas froisser leurs comparses amateurs de violence (chasse, corrida, etc.) est antinomique à l’idée d’une vraie sagesse, capacité à bien discerner le bien du mal. Embourbés dans leurs conflits d’intérêt personnel, ils n’ont pas réussi à penser de manière rationnelle et globale, en faisant le lien, que de nombreux grands Hommes ont fait avant eux et depuis longtemps, entre violence faite à l’animal et violence faite aux Hommes. Au lieu de cela, ils ont entériné l’ode à la violence inhérente à la corrida, et par voie de conséquence toutes les violences faites aux animaux, au vivant, et à l’Homme. Sans s’en rendre compte ils ont cautionné la violence dans une société déjà bien malade ou le respect et la tolérance s’effondrent. De manière claire, ils viennent de contribuer un peu plus à la fragilité de l’équilibre du pays en cautionnant des inégalités suivant les régions et en permettant d’aller assister à un spectacle dans lequel on se nourrit de violence. N’est-ce pas là aussi contradictoire avec la mise en cause qui est souvent faite avec les jeux vidéo ? Un enfant qui joue avec des jeux vidéo dits violents (dans lequel les personnages ne sont que des avatars et pour lesquels il y a distanciation) peut devenir lui-même violent mais ce n’est plus le cas s’il assiste ou voit en vrai un spectacle dans lequel un vrai être-vivant est vraiment torturé puis vraiment tué …


Retenons de cet évènement que, grâce à deux associations en particulier (mais aussi aux autres) et à de nombreux bénévoles qui ont compris qu’une vie en vaut une autre (que l’on soit noir, blanc, poilu, avec ou sans cornes), l’attention de l’opinion public a été attiré sur un paradoxe : légitimer d’un côté la violence faite aux animaux tout en concevant, parallèlement à cela, un observatoire de la violence scolaire. Il y a donc bien du vent dans ce que l’on nous raconte. Quant aux sages, ils ont, comme les politiques en général, perdu définitivement mon respect et ma croyance en eux pour être les garants de la justice, de la morale et de l’humanisme … Le combat pour la vie va continuer et la seconde Révolution, celle qui verra l’avènement des droits de l’animal, est en route …


Article lié : Contre-argumentaire aux "50 raisons de défendre la corrida" de Wollf




[1] S’il est loisible de manger chair, Plutarque, traduction Amyot, 1678, adaptée par Baudoin-Matuszek, 1992